Je suis Mélanie Colomb-Cotinat, pharmacienne et épidémiologiste. Je travaille depuis 10 ans sur le risque infectieux et notamment à Santé Publique France, sur la surveillance de la résistance aux antibiotiques et aux infections associées aux soins.
Dans quel cadre s’inscrit la parution de cet article ?
C’est une surveillance qui a été montée au début de la pandémie. Au début de la surveillance COVID-19, les indicateurs produits pour détecter précocement les cas ne permettaient pas d’identifier parmi ces cas lesquels travaillaient en établissement de santé.
Il apparaissait que c’était une population fortement exposée au COVID-19. Donc il était nécessaire de monter une surveillance spécifique pour pouvoir identifier, parmi l’ensemble des cas, combien travaillaient à l’hôpital.
Santé Publique France, en lien avec le Ministère, a monté une surveillance spécifique toujours en cours. A l’issue de la première vague, on a fait un bilan complet pour voir s’il y avait des messages de prévention spécifiques envers ces populations. Dans ce cadre, on a réalisé cette étude et publié l’article.
Quel est le groupe de travail constitué ?
Le groupe de travail a réuni des professionnels avec qui l’agence travaille au quotidien sur les infections associées aux soins. Tout d’abord un membre du réseau des CPias, qui a apporté une expérience menée en région. Le deuxième partenaire important, c’est le GERES, (association de profession de médecin du travail) avec qui Santé Publique France travaille de nombreuses depuis de nombreuses années sur la prévention du risque infectieux chez les soignants. Les CPias et le GERES permettent de faire le lien avec les hôpitaux pour promouvoir l’enquête. Il y avait également des membres d’une équipe opérationnelle d’hygiène et Santé Publique France.
Quels sont les résultats clés concernant le recensement des professionnels infectés par le Covid-19 en ES ?
Le 1er résultat est le nombre de cas. C’était l’objectif premier de cette surveillance (un recensement des cas). A l’issue de la première vague (l’article porte sur la période de mars à juin 2020) il y a plus de 31.000 cas d’infection à SARS-CoV-2 chez les professionnels travaillant en établissement de santé, avec 16 décès directement liés à cette infection pour cette période de 17 semaines.
Ce sont des estimations : seuls les hôpitaux volontaires participaient à cette surveillance. On estime que ces 31 000 professionnels infectés représentent environ 3% des professionnels travaillant dans les établissements de santé. Si on restreint uniquement aux soignants, on est à environ 4% infectés lors de cette première vague.
C’est un chiffre difficile à comparer avec la littérature internationale : nous souhaitions savoir quelle est la situation de la France par rapport aux autres pays. Mais les méthodologies différentes utilisées dans les différentes études internationales, ont rendu la tâche difficile. Certains faisaient des dépistages systématiques, d’autres travaillaient à l’échelle de l’hôpital, ou de la région… comparer directement le chiffre de 4% de soignants infectés est compliqué. Il y a chiffres très variés dans la littérature, mais on serait plutôt dans l’ordre bas, en termes de proportions de professionnels infectés par rapport aux autres pays.
Comment expliquer un taux d’infection supérieur chez les professionnels hors CHU ?
C’est issu des analyses poussées à l’issue de la première vague, pour connaître les caractéristiques des professionnels infectés. Ce résultat-là est vraiment représentatif à la première vague.
Les professionnels qui ne travaillaient pas en CHU ont été proportionnellement plus infectés que ceux travaillant au CHU. Plusieurs hypothèses qui peuvent expliquer ça. Au début de la pandémie, les CHU étaient identifiés comme hôpitaux de référence pour accueillir des cas COVID.
Les professionnels qui y travaillaient ont peut-être été plus sensibilisés que les autres. Il ne faut pas oublier aussi qu’il y avait des problèmes d’allocation d’équipements de protection. Peut-être que des professionnels travaillant en CHU ont reçu plus de ressources : il y a pu avoir des allocations prioritaires pour les hôpitaux de référence accueillant les cas COVID. Au début on ne connaissait pas encore exactement les modes de transmission et les symptômes de la COVID.
Les hôpitaux hors CHU ont pu reçevoir des cas avec des symptômes pas typiques de la COVID (telle qu’on la connaît à l’époque), ou non symptomatiques. Ces professionnels ont donc été également exposés.
Des rapports sur les taux d’infections corrélés aux autres vagues sont-ils prévu ?
La surveillance est toujours en cours tant que l’épidémie perdure et que la pandémie n’est pas déclarée comme stoppée. Le recensement continue, on publie régulièrement les résultats sur le site de Santé publique France (page dédiée). Il y a des résultats en ligne tous les 2 mois : on regarde les proportions par régions et par catégories de professionnels
Un des résultats majeurs est la différence de proportion d’infectés selon les catégories professionnelles. On voit bien qu’il y a un gradient : les soignants sont proportionnellement plus infectés que les non-soignants. Même si on recense tous les cas exposés à l’hôpital, parmi les 31.000 certains ont été infectés par un membre de leur famille ou par un proche. Tous ces cas ne sont donc pas attribuables à une situation professionnelle. Mais si on regarde par profession, on voit qu’il y a quand même une plus grande proportion d’infectés chez les soignants que chez les non- soignants, ce qui montre que que la part de l’exposition professionnelle est non négligeable.
Il y a aussi un gradient au sein des types de professions. Ce qu’on retrouvait bien pendant la première vague reste toujours vrai sur les vagues suivantes : les professions au contact direct prolongé avec les patients sont proportionnellement plus infectées, notamment les aides-soignants.
Où peut-t-on récupérer d’autres données précises ?
Il s’agit de la seule surveillance sur le recensement des cas. Sinon, le GERES a fait beaucoup d’études sur le contexte de contamination des soignants, que ce soit à l’hôpital ou en ville, notamment pendant la première vague. Il y a une surveillance plus qualitative sur le contexte de contamination : comment les professionnels étaient infectés : exposés à des tiers, des patients, des collègues… ?